La Cour de cassation est confrontée à un problème récurrent lié au fait que, en pratique, l’admission physique d’une personne en établissement psychiatrique faite contre son consentement sur le fondement de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique précède assez souvent la prise de décision d’admission par le directeur d’établissement d’accueil. La situation type est celle d’une personne agitée, reçue dans un premier temps au service des urgences d’un établissement généraliste, et ensuite orientée, à des heures imprévisibles et parfois au milieu de la nuit voire le week-end, vers un établissement spécialisé en psychiatrie. Dans ces cas-là, il est fréquent que le directeur d’établissement d’accueil ne soit pas présent dès l’arrivée de la personne pour établir et notifier sur le champ la décision d’admission, ou même un délégataire de signature. La décision est souvent prise le lendemain voire, dans certains cas lorsque l’entrée dans les lieux survient le week-end, au retour du personnel administratif le lundi.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
Découvrir tous les contenus liés
En 2016, la Cour de cassation avait, dans un avis, émis une position relativement ferme, considérant que, en principe, la décision administrative prononçant l’admission « ne peut être rétroactive ». Toutefois, l’avis ajoutait que celle-ci peut être retardée « le temps strictement nécessaire à la transmission des pièces requises et à l’élaboration matérielle de l’acte, qui ne saurait excéder quelques heures » (Cass. avis, 11 juill. 2016, no 16008P). A lire l’avis, on comprenait que « quelques heures » pouvaient donc être nécessaires pour mettre en branle les services administratifs afin d’établir l’acte qui, pour autant, ne devait pas être rétroactif.
Depuis cette décision, la Cour de cassation s’est néanmoins employée à assouplir sa position initiale. Dans un arrêt de 2018, elle avait validé l’ordonnance ayant écarté la mainlevée malgré un retard de 48 h dans l’établissement de la décision, affirmant que la mainlevée de mesure de soins ne saurait procéder du seul retard dans l’élaboration de l’acte mais aussi de ce qu’il serait démontré que, en application de l’article L. 3216-1 du code de la santé publique, ce retard a « porté une atteinte aux droits » de la personne faisant l’objet de la mesure (Cass. 1re civ., 4 juill. 2018, no 17-20.800).
Un arrêt plus récent vient de renouveler cette solution en considérant, s’agissant d’une décision prise un peu plus de 16 h après l’arrivée de la personne dans l’établissement vers 00 h 30, que « à supposer même que le délai de seize heures entre l'admission dans l'établissement de [la personne] et son admission en soins sans consentement ait été excessif, une cassation n'est toutefois pas encourue dès lors que le premier président a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve produits, estimé qu'au vu de l'état de santé de l'intéressée, nécessitant des soins urgents pour des troubles qu'elles niait, ce délai ne lui avait pas causé de grief » (Cass. 1re civ., 4 déc. 2024, n° 23-21.021).
On notera deux points concernant cet arrêt. Lea premier est l’emploi un peu étrange de la notion de « grief », empruntée au vocabulaire du droit judiciaire privé, alors même que le critère employé par l’article L. 3216-1 du code de la santé publique n’est pas celui-ci mais celui d’atteinte aux droits » (texte pourtant mentionné dans le même arrêt). Ceci dit, ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation intervertit les deux notions, soulignant sans doute ainsi qu’il est possible de les tenir pour équivalentes.
Le second est l’affirmation quelque peu étonnante que le défaut de grief – ou d’atteinte aux droits – pourrait simplement provenir du fait que « l'état de santé de l'intéressée [nécessitait] des soins urgents pour des troubles qu'elle niait ». Il est un peu surprenant de motiver ainsi la solution. En effet, à ce compte-là, autant écrire d’emblée dans la loi que toute irrégularité ne saurait entraîner la mainlevée dès lors que la personne serait censément en besoin de soins. Le raisonnement serait, en somme, que l’intérêt médical de la personne gommerait nécessairement ce que la loi cherche pourtant à préserver : ses droits. L’absence de grief, en réalité, ne saurait procéder que de la démonstration de ce que le retard n’aura pas empêché, par exemple, l’intéressé d’exercer un droit qui lui serait dû au regard de la loi (exercer une voie de recours, alerter des proches, etc.). Il y a donc dans la motivation du juge du fond, que la Cour de cassation a ici reprise à son compte sans barguigner, un danger de glissement vers un raisonnement qui reviendrait finalement à dire qu’il serait possible de se passer de toute référence au respect de la procédure dès lors que l’intérêt médical de la personne l’exigerait.
Un autre arrêt, antérieur de quelques semaines (Cass. 1re civ., 14 nov. 2024, n° 23-12.131), retient une solution identique à l’arrêt du 4 décembre s’agissant, cette fois-ci, d’un retard d’un peu plus de 24 h. Une personne avait été admise physiquement un samedi vers 17 h, la décision d’admission pour péril imminent ayant été prise le dimanche vers 18 h par un directeur d’astreinte. La Cour de cassation, là encore, validait l’ordonnance ayant écarté la mainlevée en affirmant que « La cour d'appel a retenu que la décision d'admission en soins sans consentement avait été prise et notifiée le lendemain de l'admission du patient dans l'établissement, un dimanche, par un directeur d'astreinte avec des contraintes temporelles inhérentes à la nécessité légale de contacter l'entourage, avant une admission pour péril imminent », ce dont il pouvait se déduire que « dans ces circonstances, l'écart d'heures entre l'admission dans l'établissement et l'admission en soins sans consentement n'était pas de nature à entacher celle-ci d'irrégularité. »
Cette solution est plus novatrice que la précédente. Cette dernière reposait sur l’idée que la mainlevée n’était pas encourue car l’atteinte aux droits causée par l’irrégularité n’était pas démontrée. La décision du 14 novembre, pour sa part, affirme qu’il est possible de considérer que, dans certains cas, le retard dans la décision ne serait même pas une irrégularité en raison des opérations de vérification indispensables avant la prise de la décision. Il est vrai que la loi elle-même prévoit que l’admission pour péril imminent ne peut survenir que « lorsqu'il s'avère impossible d'obtenir une demande [de soins de la part d’un tiers] » (C. santé publ., art. L. 3212-1), ce qui impliquerait logiquement, au préalable, d’éprouver cette impossibilité. Des décisions du fond ont d’ailleurs considéré que le directeur doit s’assurer, avant de prendre sa décision, qu’aucun familier ou proche n’est susceptible de pouvoir ou vouloir faire office de tiers demandeur aux soins et qu’il doit en faire état dans sa décision, le manquement à cette exigence pouvant constituer une cause de mainlevée (CA Versailles, 12 août 2014, no 14/06094).
Bref, en opportunité ces décisions peuvent se comprendre. Pour autant, on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine impression que la Cour de cassation fait tout son possible pour vider de sa substance le contenu de son avis de 2016. Celui-ci était pourtant assez explicite quant au fait que la décision ne doit pas être « rétroactive » et qu’elle ne peut être retardée que de « quelques heures ». On observe néanmoins, au fil du temps, que la Cour de cassation n’a, en réalité, jamais sanctionné aucune admission trop tardive, ou que les « quelques heures » ont pu en devenir 48 du fait d’une absence de preuve de « l’atteinte aux droits » causée par ce retard pourtant massif.
Quant à l’arrêt du 14 novembre, il ouvre de nouvelles portes pour retarder encore un peu plus la prise de la décision puisque, en définitive, il faudrait considérer que l’irrégularité elle-même ne commencerait même pas avec le décalage dans l’adoption de la décision d’admission mais lors de l’achèvement des opérations préparatoires à l’adoption de la décision. En définitive, que reste-il donc vraiment de l’exigence de non-rétroactivité de la décision d’admission énoncée par cet avis de 2016, ou de ces « quelques heures » en principe requises uniquement pour le temps « strictement nécessaire à la transmission des pièces requises et à l’élaboration matérielle de l’acte » ? Qu’en reste-t-il donc, sinon une vague recommandation générale de célérité qui, globalement, pourra connaître bien des aménagements ?